Le 14 mars 2023, la Chambre des députés a adopté la très attendue loi portant modification du Code du travail en vue d’introduire un dispositif relatif à la protection contre le harcèlement moral à l’occasion des relations de travail (la "Loi"). La Loi entrera en vigueur le 9 avril 2023.
Contexte
À ce jour, le harcèlement moral n'est pas spécifiquement réglementé par le Code du travail, mais il a été reconnu par la jurisprudence et surtout par une convention sur le harcèlement et la violence au travail du 25 juin 2009, déclarée d’obligation générale par un règlement grand-ducal du 15 décembre 2009. Cette convention a introduit une définition du harcèlement moral et de la violence au travail dans le paysage législatif luxembourgeois. Elle s'est cependant rapidement révélée peu efficace, dans la mesure où elle n’offre pas de recours effectif aux salariés susceptibles de faire l'objet de représailles, et ne prévoit pas de sanctions à l’encontre ceux qui ne respecteraient pas les obligations énoncées par la convention.
Dans ce contexte, l'adoption de la Loi était plus qu'attendue et nécessaire, à l'heure où le harcèlement moral au travail est en augmentation (selon les résultats de l'enquête Quality of Work Index menée en 2019 par la Chambre des salariés, le harcèlement moral au travail est passé de 12,4 % en 2014 à 18,1 % en 2018).
Définition du harcèlement moral
La Loi introduit dans le Code du travail un nouveau chapitre VI « Harcèlement moral » sous le titre IV « Égalité de traitement entre les hommes et les femmes et lutte contre le harcèlement à l’occasion des relations de travail ». Le nouvel article L.246-2 du Code du travail définit le harcèlement moral. La définition est très large et couvre toute conduite qui, par sa répétition ou sa systématisation, porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychique et physique d'une personne.
Cette définition a été raccourcie par rapport à celle proposée dans le projet de loi, qui incluait également tout agissement répété ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'une des principales avancées de la Loi, qui élargit davantage la définition du harcèlement moral, est qu'elle couvre tout acte de harcèlement moral pouvant survenir dans le cadre des relations de travail, mais aussi lors de voyages professionnels, de formations professionnelles et de communications en lien ou du fait du travail, par quelque moyen que ce soit et même en dehors du temps de travail normal. Cette disposition tend à inclure dans le champ d'application de la Loi les comportements ou les actes de harcèlement moral qui peuvent se produire en dehors du lieu de travail habituel du salarié.
En ce qui concerne les catégories de personnes pouvant être considérées comme victimes de harcèlement moral, la Loi couvre, en accord avec la convention de 2009, tous les salariés, stagiaires, apprentis, élèves et étudiants occupés pendant les vacances scolaires.
La Loi prévoit enfin que l’employeur, le salarié mais aussi tout client ou fournisseur de l'entreprise doivent s'abstenir de tout harcèlement moral à l’occasion des relations de travail, étendant ainsi le champ d'application de la Loi aux personnes extérieures aux locaux et à l'organisation de l'employeur.
Les obligations de l’employeur face à un cas de harcèlement moral
L’employeur doit s’assurer que tout acte de harcèlement moral à l’encontre de ses salariés, dont il a connaissance, cesse immédiatement.
À cette fin, dans un premier temps, l'employeur doit déterminer, après information et consultation de la délégation du personnel (ou de l'ensemble du personnel), les mesures préventives à prendre pour protéger les salariés contre le harcèlement moral au travail.
Selon la Loi, ces mesures, qui doivent être adaptées à la nature des activités et à la taille de l'entreprise, doivent couvrir au moins les éléments suivants :
- la définition des moyens mis à la disposition des victimes d’un harcèlement moral, notamment l’accueil, l’aide et l’appui requis aux victimes, les mesures de leur prise en charge et de leur remise au travail ainsi que la manière de s’adresser à la délégation du personnel ;
- l’investigation rapide et en toute impartialité sur les faits de harcèlement moral à l’occasion des relations de travail ;
- la sensibilisation des salariés et des dirigeants sur la définition du harcèlement moral, ses modes de gestion au sein de l’entreprise et les sanctions contre les auteurs des actes de harcèlement moral ;
- l’information de la délégation du personnel ou, à défaut, de l’ensemble du personnel, des obligations incombant à l’employeur dans la prévention des faits de harcèlement moral à l’occasion des relations de travail ;
- l’information et la formation des salariés.
En cas de harcèlement moral, la Loi impose à l'employeur l'obligation de procéder à une évaluation interne de l'efficacité de ces mesures préventives ainsi que de la mise en œuvre éventuelle de nouvelles mesures préventives. Cette évaluation doit être effectuée en consultation avec la délégation du personnel (ou l'ensemble du personnel).
Lorsqu’un comportement de harcèlement est porté à l'attention de l'employeur, la Loi impose par ailleurs à ce dernier l'obligation de prendre les mesures appropriées pour faire cesser immédiatement le harcèlement. La Loi reste néanmoins muette sur la nature de ces mesures. À notre avis, selon le cas, ces mesures pourraient inclure la séparation ou la réaffectation des salariés concernés, des mises à pied, des avertissements ou des licenciements avec préavis ou effet immédiat.
Les droits des salariés en cas de harcèlement moral
La Loi prévoit que si le harcèlement moral subsiste après la mise en œuvre de mesures préventives ou si l'employeur ne prend aucune mesure appropriée, le salarié ou la délégation du personnel (avec accord du salarié) peut saisir l'inspection du travail et des mines (« ITM »).
La Loi prévoit une procédure complète d’investigation à mener par l’ITM :
- l'ITM entend le salarié qui s’estime victime de harcèlement moral dans le cadre des relations de travail, ainsi que l’auteur présumé, et éventuellement d’autres salariés et l'employeur ;
- à la suite de l'instruction du dossier et des auditions réalisées, l'ITM établit un rapport contenant, le cas échéant, des recommandations et des propositions de mesures visant à mettre fin aux actes de harcèlement moral ;
- au plus tard 45 jours après réception du dossier, le directeur de l'ITM doit transmettre le rapport complet à l'employeur concerné et lui enjoindre de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin immédiatement aux actes de harcèlement dans un délai déterminé en fonction des éléments du rapport (ces « mesures nécessaires » ne sont toutefois pas définies par la Loi) ;
- en cas de non-respect de l'injonction, le directeur de l'IMT est habilité à imposer une amende administrative à l'employeur, qui peut s'élever jusqu'à 25 000 euros (ou le double en cas de récidive).
Il convient de noter que la Loi ne fait aucune référence à la présomption d'innocence, qui devrait s'appliquer pendant toute la durée de l'enquête de l'ITM, ni au principe de confidentialité.
En outre, la Loi permet au salarié victime de harcèlement moral de refuser de reprendre le travail et de résilier son contrat de travail sans préavis pour faute grave de l'employeur. Dans ce cas, le salarié pourra demander des dommages et intérêts devant le tribunal du travail.
Protection contre les représailles
La Loi établit une protection du salarié qui protesterait contre des comportements de harcèlement moral ou les refuserait, ou qui témoignerait d'actes de harcèlement moral. Le salarié est protégé contre toutes représailles de la part de l'employeur ou de tout autre supérieur hiérarchique, collègue de travail ou personne extérieure liée à l'employeur. Toute mesure de représailles (y compris le licenciement) sera considérée comme nulle et non avenue.
En cas de licenciement, le salarié dispose de deux voies de recours :
- le salarié peut demander dans les quinze jours qui suivent la notification de la résiliation la nullité du licenciement ;
- le salarié peut intenter une action devant le tribunal du travail pour licenciement abusif et demander des dommages-intérêts. La Loi prévoit que des dommages-intérêts peuvent être accordés au salarié non seulement pour le préjudice subi du fait du licenciement, mais aussi, le cas échéant, pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral dont le salarié a été victime pendant la relation de travail. Il reste néanmoins à déterminer comment le tribunal évaluera le montant des dommages-intérêts à allouer dans ce dernier cas.
Rôle de la délégation du personnel
Un rôle important dans la prévention et la lutte contre le harcèlement moral sera joué par la délégation du personnel, qui sera chargée d'assurer la protection des salariés contre tout acte de harcèlement moral dans le cadre des relations de travail.
Dans ce contexte, la Loi prévoit que la délégation du personnel peut :
- proposer à l’employeur toute action de prévention qu’elle juge nécessaire ;
- assister et conseiller le salarié qui fait l’objet de harcèlement moral;
- accompagner et assister un salarié victime de harcèlement moral à l’occasion de l’enquête menée par l’ITM.
Sanctions pénales
Le non-respect des obligations prévues par la Loi est passible d'une amende de 251 euros à 2 500 euros (ou du double de ces montants en cas de récidive dans les deux ans).
Conclusion
L'adoption de la Loi est certainement un grand pas en avant pour le Luxembourg, qui attendait depuis longtemps une loi anti-harcèlement qui comblerait les lacunes de la convention de 2009. L'indemnisation effective des salariés victimes de harcèlement moral sur le lieu de travail restera néanmoins difficile, dans la mesure où la Loi laisse au salarié le soin de prouver les actes de harcèlement moral allégués, preuve qui s'avère extrêmement difficile à rapporter en pratique.
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