Le 30 mai 2023, la Chambre des Députés a déposé un projet de loi (le « Projet de loi ») portant modification du Code du travail, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre-circulation des personnes et l’immigration (la « Loi immigration ») et de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire.
Contexte
A l’heure actuelle, le Code du travail interdit l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, à savoir l’emploi de toute personne :
- qui n’est pas un citoyen de l’Union européenne ou qui ne jouit pas du droit communautaire à la libre circulation,
- qui est présente sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, et
- qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de séjour prévues par la Loi immigration.
Sont ainsi visés, par exemple, les ressortissants de pays tiers séjournant au Luxembourg pour une durée supérieure à trois mois mais qui ne disposent pas d’un titre de séjour, tel qu’exigé par l’article 38 de la Loi immigration.
Le Code du travail impose déjà un certain nombre d’obligations aux employeurs qui emploient des ressortissants de pays tiers (dont celle de détenir, pendant toute la durée de la période d’emploi, une copie de l’autorisation de séjour ou du titre de séjour du ressortissant de pays tiers). Le Code du travail prévoit par ailleurs un certain nombre de sanctions, tant administratives que pénales, à l’égard des employeurs qui ne se conformeraient pas aux exigences légales.
Dans ce contexte, les objectifs principaux du Projet de loi sont :
- d’interdire, au-delà de l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l’emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ;
- de renforcer les sanctions auxquelles s’exposent les employeurs, dans le but de dissuader davantage les employeurs d’avoir recours à des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ou en situation irrégulière.
Le Projet de loi propose également des modifications à la Loi immigration, avec l’objectif de rendre le Luxembourg plus attrayant pour les travailleurs des pays tiers. Le Projet de loi propose finalement des modifications concernant le processus de déclaration de poste vacant que doivent effectuer les employeurs auprès de l’ADEM avant d’embaucher un ressortissant de pays tiers sur le territoire national, avec là encore l’objectif de faciliter l’embauche de ressortissants étrangers sur le territoire luxembourgeois.
Nouvelle interdiction de l’emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière
Le Projet de loi entend insérer un nouveau chapitre IV « Interdiction de l’emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière » sous le titre VII « Interdiction du travail clandestin et interdiction de l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » du Code du travail.
Conformément à la Loi immigration, un ressortissant de pays tiers en situation irrégulière est celui travaillant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg mais ne remplissant pas, ou plus, les conditions inhérentes à l’autorisation de travail exigée par la Loi immigration pour tout ressortissant de pays tiers souhaitant exercer une activité salariée au Luxembourg.
Le ressortissant de pays tiers en situation irrégulière est donc celui qui est en séjour régulier, mais sans autorisation de travail.
L’autorisation de travail est généralement délivrée aux ressortissants de pays tiers par le biais du titre de séjour obtenu. Dans certains cas toutefois, une autorisation de travail doit être sollicitée en sus de l’autorisation ou du titre de séjour.
Une telle autorisation de travail est notamment requise (sauf dérogations prévues par la Loi immigration) pour les ressortissants de pays tiers souhaitant séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée de maximum 90 jours et y exercer une activité salariée ou indépendante. Elle est encore requise pour les ressortissants de pays tiers résidant dans un autre Etat membre de l’Union européenne et y détenant une autorisation de séjour, mais qui souhaitent exercer une activité salariée sur le territoire luxembourgeois.
Tout comme en matière d’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, les employeurs devront veiller à détenir, pendant toute la durée de l’emploi, une copie de l’autorisation de travail du salarié en vue d’une éventuelle inspection.
Renforcement des sanctions à l’égard des employeurs en cas d’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ou en situation irrégulière
Le Code du travail prévoit actuellement la possibilité d’infliger une amende administrative de 2.500 euros par ressortissant de pays tiers à tout employeur qui emploierait un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
Le Code du travail prévoit en outre un emprisonnement de huit jours à un an et/ou une amende de 2.501 à 20.000 euros par ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, si l’emploi d’un tel ressortissant se fait dans l’une ou plusieurs des circonstances listées par le Code (et détaillées ci-après).
Dans une démarche de dissuasion, le Projet de loi entend augmenter le seuil des amendes administratives pouvant être prononcées, passant de 2.500 euros à 10.000 euros par ressortissant de pays tiers. S’agissant de l’amende pénale, celle-ci passerait de maximum 20.000 euros à maximum 125.000 euros par ressortissant de pays tiers, si l’une au moins des circonstances suivantes est remplie :
- l’infraction est répétée de manière persistante ;
- l’infraction a trait à l’emploi simultanée d’au moins deux ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ;
- l’infraction s’accompagne de conditions de travail particulièrement abusives ;
- l’infraction est commise par un employeur qui utilise le travail ou les services d’un ressortissant de pays en situation irrégulière en sachant que cette personne est victime de la traire des êtres humains ;
- l’infraction a trait à l’emploi illégal d’un mineur ressortissant de pays tiers en situation irrégulière ;
L’ensemble des sanctions renforcées détaillées ci-avant s’appliqueront tant en cas d’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qu’en cas d’emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.
A noter que comme c’est déjà le cas pour l’emploi de ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, le Projet de loi entend instituer une présomption selon laquelle l’emploi illégal a duré au moins trois mois, la preuve contraire ne pouvant être rapportée que par écrit.
Autres mesures visant à élargir le champ d’accès au marché du travail
Le Projet de loi propose un certain nombre d’amendements à la Loi immigration avec pour objectif de rendre le Luxembourg plus attrayant pour les travailleurs des pays tiers, et donc plus compétitif.
Le Projet de loi entend tout d’abord ajouter une exemption supplémentaire à l’exigence d’une autorisation de travail dans le chef des ressortissants de pays tiers souhaitant séjourner sur le territoire national pour une durée de maximum 90 jours sur une période de 180 jours, et y exercer une activité salariée ou indépendante.
Jusqu’à présent, une exemption s’appliquait (notamment) aux personnes souhaitant séjourner sur le territoire national pour y effectuer une prestation de services au sein du même groupe d’entreprises.
Il est suggéré d’étendre cette exemption aux personnes entendant séjourner sur le territoire national pour y effectuer une prestation de services pour le compte d’une entreprise n’appartenant pas au même groupe. Cette dérogation supplémentaire semble s’imposer dans la mesure où ce type d’activité reflète une réalité dans bon nombre de secteurs de l’économie luxembourgeoise.
Il est ensuite suggéré d’attribuer aux membres de famille de ressortissants de pays tiers titulaires d’un titre de séjour luxembourgeois le libre accès au marché de l’emploi, sur seule base du titre de séjour « membre de famille » délivré. Les membres de famille ne seraient alors plus obligés (comme c’est le cas actuellement) de faire une demande en obtention d’une autorisation de travail en sus de leur titre de séjour.
A noter finalement que le Projet de loi prévoit que l’autorisation de voyage « ETIAS » (système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages) constituera désormais une condition préalable obligatoire pour l’entrée sur le territoire luxembourgeois des ressortissants de pays tiers exemptés de visa pour des séjours n’excédant pas 90 jours sur une période de 180 jours. Cette obligation de détenir une autorisation de voyage « ETIAS » s’étendra également aux membres de famille, ressortissants de pays tiers, d’un citoyen de l’Union souhaitant enter et séjourner au Luxembourg pour une période allant jusqu’à trois mois, à moins qu’ils ne disposent d’une carte de séjour valable.
L’autorisation de voyage « ETIAS » permettra d’estimer si la présence du ressortissant de pays tiers concerné sur le territoire luxembourgeois est susceptible de présenter un risque en matière de sécurité ou d’immigration illégale, ou un risque épidémique élevé.
Simplification du processus de déclaration de poste vacant
A ce jour, le Code du travail exige que tout poste de travail vacant sur le territoire luxembourgeois soit déclaré à l’Agence pour le développement de l’emploi (« ADEM »), et ce dans l’intérêt du maintien du plein-emploi sur le territoire national.
Ce principe reste inchangé sous l’égide du Projet de loi.
Le Code du travail prévoit par ailleurs, à l’heure actuelle, que si endéans un délai de trois semaines à compter de la déclaration de poste vacant, l’ADEM n’a pas proposé à l’employeur de candidat remplissant le profil requis pour le poste déclaré, l’employeur peut demander une attestation lui certifiant le droit de recruter la personne de son choix, y compris un ressortissant de pays tiers. Le certificat est alors établi dans un délai de cinq jours ouvrables.
Conclusion
Le Projet de loi a pour objectif clair de renforcer l’interdiction établie par le Code du travail de l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et situation irrégulière, tout en implémentant de nouvelles mesures dans la Loi immigration visant à pallier à la pénurie de main d’œuvre qui frappe certains secteurs de l’économie.
Partager sur