La balance entre volonté d’être au cœur de l’inclusion financière en permettant à 1,7 milliard d’adultes non bancarisés de bénéficier de services en envoyant de l’argent aussi facilement qu’une photo et un business model consistant à catégoriser au mieux ses utilisateurs afin d’augmenter ses revenus publicitaires, la Libra a bien choisi son nom.
Croisement entre les services financiers et la technologie, la Fintech a un impact majeur sur le marché des services financiers et le comportement des consommateurs. L’accès permanent à des supports informatiques puissants, l’augmentation des attentes des consommateurs dont le niveau d’expérience utilisateur ne cesse de croître, des besoins non satisfaits dans le monde traditionnel, l’évolution démographique, l’exclusion financière sont autant de vecteurs qui dopent les Fintechs au bénéfice des consommateurs disposant davantage de choix, de commodité et de transparence.
Les régulateurs, pourtant très attentifs à ces évolutions, restent en retard d’action et de coordination. Ils ont cependant un rôle-clé à jouer pour minimiser les risques potentiels, permettre un développement mesuré et serein ainsi que maximiser finalement les avantages des consommateurs. Or, les banques font face à des concurrents (Fintech) mais qui ne sont en rien comparables avec celui qui arrive: Facebook et la Libra.En effet, le livre blanc de Facebook laisse peu de doute quant au but et aux adversaires désignés; le monde accumule des connaissances et des informations universelles grâce au progrès d’internet et du haut débit mobile, mais approximativement 1,7 milliard d’adultes dans le monde, en possession d’un téléphone portable ayant accès à internet, restent exclus du système financier par l’intermédiaire d’une banque traditionnelle.
Christine Lagarde déclarait lors du Paris Fintech Forum en janvier dernier que les Fintechs avaient un rôle de premier plan à jouer «dans le monde en offrant aux 2 milliards de personnes qui ne sont pas bancarisées, accès à des plates-formes de transaction sécurisée». Mark Zuckerberg entend y remédier et «rendre aussi facile d’envoyer à quelqu’un de l’argent que de lui adresser une photo».
Ceci étant, son ambition est plus vaste en visant la création d’un nouvel écosystème par la création d’une monnaie privée mondiale en développant des paiements et transferts entre consommateurs tout en s’appuyant sur toutes les messageries opérées par Facebook et en proposant un portefeuille numérique, le Calibra.L’intelligence du projet, c’est de décentraliser la gestion de la Libra à une association sans but lucratif basée en Suisse comptant actuellement 28 membres, parmi lesquels des géants qui ont évidemment senti le besoin d’y participer: Uber, Spotify, Ebay (économie numérique), Visa, Mastercard (paiements), et des ONG (Women’s World Banking), mais aucune institution bancaire n’est présente.
La Libra ne sera pas simplement la cryptomonnaie de Facebook, au contraire, le but est de créer une monnaie d’échange qui pourra être utilisée sur différentes plates-formes et pour les services proposés par tous les partenaires membres ainsi qu’auprès de commerçants. On imagine aisément que cette plate-forme favorisera la consommation auprès des membres du «club» par divers moyens.
Par ailleurs, la stabilité sera assurée, car contrairement au Bitcoin et autres, l’association Libra aura pour tâche de stabiliser cette monnaie en créant une réserve composée des devises comme le dollar, l’euro, la livre sterling, le yen et les bons du Trésor de grandes banques centrales selon une parité d’un pour un.Avec la Libra, Facebook va consolider son réseau et accéder à une nouvelle catégorie de données stratégiques: habitudes, paiements et dépenses des utilisateurs, ce qui permettra de profiler au mieux ses utilisateurs afin d’augmenter ses revenus publicitaires. Cela prend toute sa signification si l’on considère la taille de Facebook et le nombre d’utilisateurs (approx. 2,5 milliards), si un quart d’entre eux crée un portefeuille Calibra, cela correspondra environ à 1,5 fois la zone euro.
Ensuite, leur entrée dans la finance semble tracée car le large éventail de données sur le comportement à disposition brossera un tableau plus détaillé que les informations dont disposent les banquiers traditionnels. Les inquiétudes ont fusé dès l’annonce car la taille de Facebook change tout, les régulateurs sont au pied du mur. Facebook bouscule les États et casse la fonction régalienne de battre monnaie et assurer protection et stabilité. Certains s’émeuvent car les attributs de la souveraineté des États doivent rester aux mains des États, et pas des entreprises privées répondant à des intérêts privés, mais le phénomène est mondial et il n’existe aucune chance de l’arrêter.Facebook se renouvelle et se rend incontournable, mais quel rôle entend-il jouer? Dans les pays à très forte inflation, les populations pourraient se retourner vers la Libra, adossée sur un panier de devises stables, et influer de la sorte sur les politiques monétaires de ces États… jusqu’à rendre une monnaie locale inutile?
Une coordination nationale et internationale devra naître rapidement en vue d’harmoniser des règles et assurer un développement serein et une concurrence saine. Il se pourrait que Facebook force les régulateurs à s’entendre et agir là où jusque maintenant des vœux pieux étaient énoncés. La question non mentionnée dans le livre blanc est de savoir si les États, à des fins de régulation, pourraient investir dans la Libra et obtenir un siège au conseil de l’association.
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